A. Sanson, Dusseldorf, le 15-11-1870, à sa femme à Versaille

A. Sanson, Dusseldorf, le 15-11-1870, à sa femme à Versaille

Messagede Carman le Mar 8 Avr 2008 09:29

Dusseldorf, le 15 novembre 1870

Chère amie, j'ai reçu hier la première lettre que tu m'écrivais le 3 de ce mois en me l'adressant à Metz, elle a mis du temps pour arriver, mais enfin elle m'est parvenue. J'espère que toutes celles que je t'ai écrites finiront aussi par t'arriver avec le temps, et pour que tu puisses les reconnaitre, je vais mettre des numéros à celles que je t'adresserai à partir d'aujourd'hui. Je commence par le n° 8 estimant à peu près que je t'ai bien écrit 7 fois depuis la capitulation de Metz-non comprises toutefois la lettre que j'ai écrite hier à Armand- Je t'ai adressé de Metz plus de 40 envois aérostatiques; je ne m'explique pas comment tu n'en as pas reçu un seul, car je sais que bien des familles en France en ont reçu en dehors ou en dedans des points occupés par les Prussiens.
J'ai remarqué que sur l'adresse de ta lettre du 7 novembre tu avais mis "intendant militaire". Je suppose que c'est une erreur, à moins que je ne me sois bien mal expliqué dans mes lettres. Je t'ai dit ou du moins j'ai voulu te dire qu'à partir du 1er octobre j'avais remplacé Mr Lebrun à la garde, parce qu'il avait été appelé au grand quartier général en l'absence de Mr Wolf; j'ai fait fonction d'intendant mais je n'ai point été nommé Intendant et je reviens gros Jean comme devant à moins qu'on ne m'ait nommé à Paris, ce qui n'est pas probable, car les renseignements que j'ai reçus ne m'ont appris aucune vacance. Nous sommes ici parfaitement au courant de tout ce qui se passe partout, à Paris comme à Versailles tant par les correspondances particulières que par les journaux Allemands et Français. Comme je crois te l'avoir dit, je me suis abonné à l'Indépendance Belge et je me tiens ainsi au courant des nouvelles; presque chaque jour j'y trouve des correspondances de Versailles émanant de sources soit Françaises soit Prussiennes. C'est ainsi que j'ai vu dans la composition de l'armée de Paris que Mrs Wolf, Baillod, Viguier et Prival en étaient les Intendants.
J'ai été bien heureux d'apprendre que tu te félicitais pleinement d'être restée à Versailles. Dieu veuille qu'il en soit ainsi jusqu'à la paix et qu'elle soit honorable et prochaine.
Je ne t'ai point parlé dans mes dernières lettres de Maria. Cette pauvre femme était enceinte de 3 à 4 mois au début de cette campagne, elle a supporté toutes les fatigues avec beaucoup de courage. Je l'ai vue plusieurs fois pendant les 6 dernières semaines de notre séjour sous Metz; elle s'était fait un petit abri en feuillages pour le jour et la nuit elle couchait dans sa voiture; elle est venue me voir m'apportant des oeufs et des conserves qui étaient déjà alors fort rares, puis lorsque les mauvais temps sont arrivés vers le 7 octobre (époque à partir de laquelle nous avons eu des pluies diluviennes et constantes jusqu'à mon arrivée à Dusseldorf) elle est rentrée à Metz; je l'ai entrevue une fois sur une route dans sa voiture mais très pâle et très fatiguée; depuis je n'en ai plus eu de nouvelles, son mari a dû suivre son régiment en Allemagne, quant à elle qu'a-t-elle pu devenir ? J'aurais voulu pouvoir venir à son secours, mais j'avais tant affaire avec mon service que cela m'était impossible.
J'ai fait hier une assez singulière rencontre à Dusseldorf, c'est celle de Mr Kühling, l'horloger de la maison à Paris; il a été renvoyé de Paris avec les 40000 allemands qui s'y trouvaient. Nos voisins de l'entresol, renvoyés aussi sont à Bruxelles. Il croit notre maison complètement privée de ses locataires à l'exception des boutiques. Il a reçu des nouvelles de son voisin de boutique de droite à la date du 19 octobre; rien de particulier ne s'était passé à la maison.
Dès que la route de Paris sera libre, donne bien vite de mes nouvelles à Aline et dis lui de m'écrire; que je sache ce qu'ils sont tous devenus; fais lui, si tu le peux, l'offre d'argent, dont elle doit avoir bien besoin; je dis si tu le peux, parce que toi-même tu dois être fort à court, car je t'en ai laissé bien peu. A bientôt, espèrons le
Mille tendresses. A.S.
Carman
 
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